La tarification du carbone aux États-Unis : que réserve l’avenir ?
L'introduction d'une tarification obligatoire du carbone représente un risque financier pour les entreprises non préparées dont les chaînes de valeur continuent à reposer sur l’utilisation des combustibles fossiles. Cependant, de nombreuses grandes entreprises américaines appellent à l’instauration d’un tel système dès aujourd'hui. Que savons-nous de l'état actuel de la tarification du carbone aux États-Unis, et que nous réserve l'avenir ?La tarification du carbone internalise le coût social des émissions de gaz à effet de serre
La tarification du carbone, dans sa forme la plus simple, attribue un coût financier à l’émission de gaz à effet de serre. C’est le pollueur, et non la société dans son ensemble, qui supporte le coût des émissions en le comptabilisant dans le cadre de ses activités économiques. En internalisant le coût du CO2, la tarification du carbone incite donc à réduire les émissions à la source. L’introduction de cette politique sur les marchés existants peut modifier les décisions et les comportements d’investissement dans tous les secteurs.
La question n’est pas de mettre en opposition un système de “cap-and-trade” et une taxe sur le carbone
La plupart des experts s’accordent à dire qu’une tarification généralisée du carbone sera un élément incontournable pour une politique climatique américaine efficace, mais ils sont moins unanimes sur le choix du meilleur instrument politique à utiliser pour sa mise en œuvre. Bien que le choix entre une taxe sur le carbone ou un système de plafonnement et d’échange soit débattu depuis longtemps, dans la pratique, les frontières entre ces deux approches restent floues, les deux systèmes pouvant se combiner. Il est évident que, plus que le choix de l’outil, c’est la conception détaillée de celui-ci qui a les plus grandes implications sur son efficacité, la rentabilité et l’équité du système global. Plus important encore, la viabilité politique de la politique de tarification du carbone joue un rôle primordial pour aboutir au résultat souhaité, et sur sa mise en œuvre éventuelle.
Un manque d’action au niveau fédéral a stimulé l’action des États (en matière de tarification du carbone)
Pendant le démantèlement général de la politique climatique fédérale américaine par l’administration Trump, l’attention s’est tournée vers les gouvernements des États pour qu’ils prennent l’initiative de la tarification du carbone.
À l’heure actuelle, des systèmes actifs de tarification du CO2 sont mis en œuvre dans 11 États qui représentent ensemble plus d’un tiers du PIB américain et un quart de la population américaine.
La Transportation Climate Initiative (TCI)est une démarche qui inclut tous les participants actuels de la RGGI, en plus de la Pennsylvanie, la Virginie et le District de Columbia. Dans ce cadre, ces acteurs développent un système régional de plafonnement et d’échange pour le secteur des transports qui entrera en vigueur en 2022, et dont l’évolution à la baisse des plafonds d’émissions autorisés doit encore être convenue par les juridictions de la TCI.
Malgré les progrès notables réalisés dans certains États en matière de tarification du carbone sous la forme de systèmes de plafonnement et d’échange, la couverture nationale reste très limitée. Deux programmes distincts de tarification du carbone ont été contrecarrés par les électeurs de l’État de Washington ces dernières années – l’initiative 731 en 2016, puis l’initiative 1631 en 2018. Sous la présidence de M. Biden, les systèmes réglementés au niveau fédéral pourraient s’avérer plus réalisables et plus efficaces pour réduire les émissions à l’échelle nationale que les stratégies politiques des États, mais les efforts d’une approche “top down” font également face à leurs propres obstacles.
L’administration Biden devrait réduire les divisions entre les États et le gouvernement fédéral sur la tarification du carbone
Les objectifs politiques contrastés de chaque État posent un défi à l’élaboration d’une politique climatique largement acceptable – comme la tarification du carbone. Des conflits entre les programmes des États et du gouvernement fédéral se sont également matérialisés dans ce domaine. Fin 2019, une décision de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) a limité les subventions publiques aux sources d’énergie à faible teneur en carbone, au motif qu’elles discréditaient la tarification des ressources essentielles à la stabilité du réseau. Mais une conférence organisée par la FERC en septembre 2020, en réponse aux demandes des producteurs d’énergie, de l’industrie et des partisans de l’énergie propre, a permis de trouver un accord sur les avantages de l’intégration de la tarification du carbone déterminée par l’État dans les grands marchés régionaux de l’énergie.
Cette voie pourrait permettre de réconcilier les divergences entre les États et le gouvernement fédéral sur les aspects pratiques de l’administration de la politique climatique visant à réduire les émissions. L ‘administration Biden est également moins susceptible de s’opposer à l’ambition climatique manifestée par les États.
New York, un banc d’essai pour une tarification plus large du carbone
Le gestionnaire de réseau de New York, NYISO, travaille actuellement sur une proposition de tarification du carbone afin de l’intégrer au marché de gros de l’énergie de New York. Le prix du carbone dépend de son coût social qui sera déterminé par les régulateurs de l’État de New York. Le plan devra aussi encore être approuvé par la FERC. S’il est approuvé, le prix du carbone sera pris en compte dans chaque transaction sur le marché de l’énergie de l’État et influencera rapidement des comportements sur le marché, permettant de réduire les émissions. Bien que ce cas ne concerne que l’État de New York, l’approbation du plan NYISO par la FERC pourrait ouvrir la porte au développement de mécanismes similaires de tarification du carbone par les Regional Transmission Organization (RTO), qui seraient applicables à plusieurs États.
Cela pourrait permettre d’introduire la tarification du carbone dans des régions beaucoup plus vastes des États-Unis, mais sa nature progressive pourrait à nouveau déboucher sur une lente expansion.
Y a-t-il des évolutions de la tarification du carbone qui pourraient entraîner des changements importants dans tout le pays ?
Une tarification ambitieuse du carbone à l’échelle nationale est peu probable sans une majorité démocrate au Sénat
Le plan climatique du président élu M. Biden s’est récemment éloigné de la tarification du carbone comme axe de base de sa politique, mais une campagne importante au sein du Congrès fait néanmoins pression dans ce sens.
Cette campagne est axée sur un projet de loi intitulé “The Energy Innovation and Carbon Dividend Act” (H.R. 763). Présenté à la Chambre des représentants des États-Unis en 2019, ce projet propose d’imposer une taxe carbone sur les combustibles et les produits dérivés qui émettent des gaz à effet de serre. Cette taxe, qui commencerait à 15 dollars en 2019 et augmenterait de 10 dollars par an – serait reversée aux citoyens américains via un fonds fiduciaire de dividendes sur le carbone.
En remettant l’argent directement entre les mains des citoyens américains, ce projet de loi augmente le pouvoir de négociation politique, un aspect absent de la politique de tarification du carbone I-732 de Washington qui avait échoué.
Le projet H.R. 763 pourrait réduire les émissions nationales des États-Unis d’au moins 40 % au cours des 12 premières années, mais il doit d’abord passer par la Chambre et le Sénat avant de pouvoir être signé par le président. Bien que ce projet de loi ait été largement salué comme bipartisan en raison de son introduction par deux représentants républicains et trois représentants démocrates, il n’avait reçu l’aval que d’un seul républicain sur un total de 82 co-signataires à la date du 16 novembre 2020. Malgré les fortes ambitions climatiques de M. Biden et le fait que ce dernier ne s’opposera probablement pas au principe du projet de loi, il aurait besoin d’un soutien bipartisan plus important pour atteindre le Sénat.
La majorité démocrate à la Chambre signifie que le projet de loi devrait être adopté à la chambre basse, mais les chances qu’il soit adopté au Sénat restent en suspens.
Un second tour du Sénat en Géorgie, prévu le 5 janvier 2021, devrait décider de la course au Sénat américain, et pourrait donc déterminer le sort de la politique nationale de tarification du carbone proposée par le H.R. 763. Si les démocrates prennent le contrôle du Sénat, le projet de loi H.R. 763 pourrait bien se frayer un chemin jusqu’au Sénat, ouvrant la porte à des négociations bipartites au sein du Congrès, que le président élu M. Biden et la vice-présidente élue Kamala Harris pourraient soutenir, ou même mener.
Les entreprises ne devraient pas attendre un programme national pour commencer à agir sur la tarification du carbone
La politique entourant la tarification du carbone reste complexe, mais les positions des différentes entreprises dans le monde sont beaucoup plus claires. Malgré l’absence de tarification du carbone réglementée au niveau fédéral, des dizaines de grandes entreprises américaines planifient de manière proactive les risques liés au climat en intégrant des prix internes du CO2 dans leur planification commerciale et leurs stratégies de gestion des risques.
Les entreprises font également appel aux décideurs politiques, en demandant une tarification claire et une certitude sur les perspectives réglementaires pour les aider à planifier leurs investissements liés au climat.
En 2019, le Silicon Valley Leadership Group, une association commerciale de politique publique représentant les principales entreprises, dont Apple, Bank of America, Coca-Cola, General Motors, Johnson & Johnson, a exprimé son soutien de principe au projet de loi H.R. 763 et à sa proposition de tarification du carbone réglementée au niveau fédéral. Plus récemment, en septembre 2020, la Business Roundtable, un groupe de lobbying représentant plus de 200 grandes entreprises américaines dont Amazon, Chevron et Walmart, a publiquement déclaré son soutien à une politique nationale de réduction des émissions basée sur les mécanismes de marché.
Les entreprises peuvent prendre des mesures dès maintenant pour atténuer les risques climatiques
Bien que l’avenir de la tarification obligatoire du carbone aux États-Unis reste imprévisible, il existe de nombreuses possibilités à court terme. A mesure que les dérèglements climatiques s’accentuent, le nombre d’initiatives faisant pression pour une action au niveau fédéral et des États ne fera qu’augmenter.
Un inventaire complet des gaz à effet de serre est la première étape essentielle pour prévoir les risques éventuels de la tarification du carbone pour votre entreprise. Votre inventaire des gaz à effet de serre peut être utilisé à la fois dans l’analyse des scénarios climatiques pour comprendre les impacts financiers selon différents scénarios plausibles de tarification du carbone, et comme base de référence pour tout objectif de réduction des émissions. La compréhension des risques liés à la tarification du carbone et de votre exposition à ceux-ci peut contribuer à éclairer la planification des activités et l’atténuation des risques, ce qui peut inclure l’élaboration de prix internes du carbone pour préparer la tarification obligatoire qui pourrait prévaloir à l’avenir.
En prenant des mesures pour vous aligner sur les recommandations du groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD), vous aiderez votre entreprise à mieux comprendre les risques et les opportunités liés au climat.
Quel que soit votre point de départ, Agendi vous soutient dans votre démarche d’action pour le climat.